Ce n’est pas tout à fait vrai. 2004, c’était l’année de mes 12 ans. Mais lorsque j’ai subi ma première opération validiste, en février 2004, je n’avais pas encore 12 ans. Et d’une certaine manière, je suis resté.e en février 2004, à 11 ans.
Je viens enfin de lire le texte de Zig Blanquer La Culture du Valide (occidental) qu’il a écrit en 2004. La première chose que je me suis dite après avoir fini de le lire, c’est « qu’est-ce que j’aurais aimé.e lire ça en 2004 » ou même quelques années plus tard, à l’adolescence. Je sais que ce texte a été une porte d’entrée vers l’antivalidisme pour pas mal de personnes en France. Mais pour moi, en 2004, les portes se refermaient. Et le validisme renforçait son emprise.
En 2004, j’avais 11 ans. J’ai passé 6 heures au bloc opératoire. En 2004, j’ai passé.e plus de temps enfermé en centre de rééducation qu’à l’école. En 2004, ma sœur âgée de 8 ans à l’époque m’a dit : « T’as les jambes comme nous. » J’ai dit : « C’est le but. » En 2004, je pleurais sur mon lit d’hôpital en me demandant pourquoi c’était tombé sur moi. Et ma mère me répondait seulement que j’étais courageuse.
En 2004, j’avais 11 ans. Je suis resté.e allongé.e pendant 3 semaines. Avec interdiction de plier mes jambes. Seulement une fois par jour, quelques minutes, pendant les séances de kiné.
En 2004 j’avais 11 ans, j’ai subi une forme de torture. Pendant longtemps je n’ai pas utilisé ce terme pour décrire ce que j’avais subi. C’est très récent. Et j’ai encore la gorge qui se noue de colère en l’écrivant. Bien sur les valides et surtout les chirurgiens, n’emploiront jamais ce terme, seront surement choqués, et diront que j’exagère, que c’était « un mal pour un bien ».
En 2004, j’avais 11 ans, personne ne m’a demander mon avis. Personne ne m’a demandé mon consentement. On m’a fait comprendre que je devais marcher. Que mon corps tordu d’handicapé devait être redresser. Que le problème, c’était moi. En 2004, j’avais 11 ans, et je connaissais déjà assez bien mon corps pour savoir que leur plan de me faire marcher avec des béquilles, des cannes anglaises, n’allait pas fonctionner. Je savais que mon équilibre était trop précaire. Mais je savais aussi qu’une enfant de 11 ans ne fait pas le poids face à ses parents et deux chirurgiens. Alors je n’ai rien dit, j’ai subi. Et une partie de moi est restée là-bas, coincée en 2004.
En 2004, j’avais 11 ans, et marcher ça ne m’intéréssait pas plus que ça. Je sais que ça vous dépasse les bipèdes mais marcher n’a jamais été un objectif dans ma vie, ça n’a jamais été quelque chose que je voulais absolument réussir à faire. Je n’ai jamais compris votre obession avec la marche. (Ou avec les marches, au pluriel. Vos fichus escaliers là). Ca a toujours été une performance plus qu’autre chose, pour moi. (Tout comme j’ai essayer de performé la cishétéro-normativité pendant presque 30 ans, mais ça c’est une autre histoire). Ce qui me dépasse moi c’est comment on peut faire subir des opérations aussi lourdes à des enfants et se dire que c’est une bonne chose ? Que c’est « pour leur bien ». Comment ont peut dormir la nuit en ayant participer à ça ? Et en ayant laisser faire ?
Apparement ça partait d’une bonne intention. Mais je m’en contre fou de vos « bonnes intentions ». Surtout quand les répercutions sur ma santé mentale et mon estime de moi sont si négatives. Apparement ça s’appelle le validisme. Le validisme médical plus exactement. Ou le model médical du handicap. Une belle arnaque si vous voulez mon avis. Qui traumatise plus qu’elle n’aide.
Merci à Zig Blanquer et à toutes les personnes qui ont mis le mot validisme sur ma route. Mais surtout merci à mon moi de 11 ans et à tous les anciens moi qui n’ont pas lacher l’affaire. Qui n’ont pas laisser les idées suicidaires arrivées à leurs fins.
Parce que en février 2023, j’avais 30 ans. Et un médecin m’a enfin demandé mon avis. Il m’a demandé ce que je pensais de toutes ces opérations. J’ai d’abord répondu que c’était une très bonne question, qu’on ne me la posait pas souvent. On ne me l’avait jamais posée, c’était la première fois. Puis j’ai dit en gros ce que je viens de dire plus haut. Ou plutôt on l’a dit. Mon moi de 11 ans était là, avec de l’émotion dans la voix. Et puis, une fois sorti de son bureau, devant le centre de rééducation, on a pleuré. Des larmes de guérison de trauma, comme j’aime les appeler. (N’allez pas croire que je porte les médecins dans mon cœur pour autant). C’était juste l’épilogue.
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